samedi 28 juin 2008

32 etc ...



Sur quinze années de travail social auprès de personnes désocialiées et marginalisées de Nancy, j'ai occupé un poste au SAMU social et accueil de jour de 2004 à 2007.

Période riche en émotions, de ce contact humain avec des personnes hors du commun. Échanges de plaisirs, douleurs, réconfort, regards, tristesse, désarroi, incompréhension, tourments, rigolade, tendresse, de gestes réconfortants. Une main posée sur une épaule, une oreille qui se tend, un service rendu.

Une période de ma vie si intense qui laisse des traces dont en résulte ce qui suit en images et en textes.

32 etc : Cet endroit et ses personnages au fil du temps que vous allez découvrir ce sont des visages des mains des expressions des "tronches de vie" "des tranches de vie", de leurs vie et de celles des "T.S" (dont j'ai fait partie) puisque chacun se côtoie quotidiennement pour le meilleur et pour le pire sachant que pour certains le pire est peut être à venir plus que pour d'autres. Mais qu'en tous cas tous ensemble tentons de faire que leur avenir soit autre que ce qu'ils entrevoient, que nos rencontres servent à quelque chose et que leur avenir ils y croient et retrouvent l'envie.

Vivre au jour le jour, ici et maintenant.

Cet endroit est un lieu d'accueil pour personnes sans domicile fixe, en errance, il y a des rires des pleurs, des énervements, des risques pour tous ceux qui le côtoient ce "32".
Franchir la porte



Et puis quoi ?

Après ...

La porte s’ouvre, il est l’heure que tout ce monde, amassé devant à coté du mur portant le numéro 32, s’ouvre. Regardez ce pilier comme lui aussi a souffert du temps, il soutient cette grande porte bleue en bois.


14 heures : accueil du public.

Profitez en bien parce que cela ne sera possible que pendant trois heures et oui ainsi l’ont décidé ceux qui financent ces structures, ceux qui dirigent en quelque sorte avec leur pouvoir de l’argent et de la décision finale, l'ouverture des centres d'hébergement.

Notre hiérarchie, ne vas que trop fébrilement les affronter et leur prouver que ce qu’ils accordent est insuffisant, trop peu pour un bon fonctionnement. Ils le disent oui en effet mais une fois, pas plus, même si les salaries crient les besoins, les manques à leurs supérieurs.

Eh oui il fait froid pour tout le monde, pas simplement pour les sdf et même que chez certains présidents d'associations, on est souvent très frileux pour prendre de lourdes décisions face au pouvoir de l'argent. De ma place j’imagine cette démarche pas évidente du tout, le risque de perdre encore plus de financements étant trop grand et plus grand chaque année. Alors on dit merci et on prend ce que l’on nous offre : l’État nous finance.

Heureusement il y a ceux qui n’ont pas froid aux yeux, qui osent, qui affrontent le froid jusqu'à 1 h 00 du matin pour aller chercher une personne seule à la gare sans chaussures, étranger, sans papiers ou déchirés et illisibles, ou même difficiles à déchiffrer vu la langue d’origine des personnes, et les difficultés de communication. Le réseau de passeurs les a démunis du peu d'argent qu'il leur restait et les voilà dans un monde inconnu, hostile, fuyant la guerre, une mort certaine sur la terre qui les a vus naître et grandir. Familles, hommes seuls désoeuvrés.

Juste un pull et leur peur du froid de la nuit et de sa solitude. D’où la volonté pour les travailleurs sociaux, accueillants et accompagnateurs d’un soir voir ensuite sur les mois à venir ou les années, de faire preuve d’intérêt et de proximité pour toutes ces personnes qui vivent à la rue et y restent.
"Tu vas au 32 ?"

"T'es un du 32 (un T.S.) ?"

"Pourquoi tu vas pas au 32 prendre ta douche ?"

"Ah le 32 c'est tous des cons."

Voilà ce que l'on peut entendre du 32 . Alors, on voudrait que ces personnes se sentent exister autrement que par ces regards méfiants auxquels il ont droit chaque jour quand ils arpentent les rues de la ville. Pour ceux qui le peuvent encore.

Mais c'est bien aussi dans la rue que ceux que l'on appelle "les usagers" existent. "Usagers" parce qu'utilisateurs d'un service où ils peuvent avoir une certaine attention et reconnaissance "les gens de la rue", de "la zone", tous différents les uns des autres, plus ou moins anonymes.

Monde de misère. Misère sociale, misère affective, misère psychologique, et cyclothymique !!! (c’est toujours après les pauvres gens … ). Enfants des institutions. Dormir sous un porche sous un pont, dormir dans un parking et ne pas savoir si demain tu retrouveras ton sac de couchage et ta boite de conserve ouverte au couteau et mangée froide. Se demander si le lendemain, tu vas te réveiller avec tes chaussures aux pieds. Dormir dans un abri de fortune trouvé au soir le soir, dans un jardin sous une tante qui laisse entrer la pluie. Dormir avec ses chiens et se sentir en sécurité ou ne pas dormir du tout. Monde où se mêlent insouciance et inconscience.

Mais surtout ne pas squatter un lieu public !!! Non, non, non !!! Les sous-sols et parkings des supermarchés sont si bien chauffés pourtant !!!

Mais certains n'y vont plus, non par peur d'y être jeté par les forces de l'ordre, parce que y revenir une heure après il n'y a que cela à faire, attendre le départ de la police ou des maître chiens et essayer de se poser enfin une petite partie de la nuit ; non ce qui leur fait plus peur ce sont les violences infligées par la communauté, les seringues qui traînent, être obligé de boire sinon ce serait prendre un plus gros risque d'être encore rejeté par "ses pairs".

La journée : traverser le centre commercial sans s'arrêter sous peine d'en viré !!!

Toutes ce années l'éduc que j'étais au conact de ces personnes s'est enrichi de ces relations privilégiées, riches de leur vécu mais aussi de ce qu'ils sont maintenant, parce que certains ont encore de la dignité et gagnent à être connus, eh oui.


Un jour sourire, un jour périr.

Il y a aussi la peur d'être reconnu par ses proches, ses anciens amis sa famille. Vos parents pasent devant vous et tournent la tête, et vous n'avez alors que 18 ans et êtes obligé de faire la manche.

Peur de la maladie mais aussi peur de l'hôpital parce que peur de la mort c'est Paradoxal non ?

Avoir faim. Ne plus supporter d'avoir faim, faire la manche, appartenir à un groupe malgré soit. Et ne plus s'en détacher.

"Tu veux du subu ?"

" Tu cherches quoi ?"

"Tu veux quelque chose ?"

Venir au 32 faire une pose discuter vider ses valises, faire une lessive, se laver ( de tout ), ne pas avoir le temps de sécher son linge, remplir un casier. Mais pour certains leur casier avant d'arriver au 32 est déjà bien rempli.

L'envie : perdue. La violence, toujours présente, subie ou donnée.

L'image la sienne, mais laquelle ?

Jeunes et vieux se côtoient. Combien de temps cela va-t-il durer quelques mois quelques années. Toujours. Jusqu'à la fin ? Ces gens - ces personnes - ces endroits - ces moments - ces instants de leur triste vie - survie - mais aussi de bonheur - d'échanges, de "pourquoi". Il faut surtout l'éviter le "pourquoi". Tout cela est consigné et s'inscrit dans une histoire. le 32 c'est humain et inhumain en même temps. Pour ce que l’on peut y faire, y partager, aux soins que l’on peut y prodiguer, de la présence du médical, de soins corporels, de petites attentions, de ces liens qui se créent même infimes et même tres forts parfois, un simple bonjour pour certains c'est déjà beaucoup voir inespéré. On aime les chouchouter, "nos accueillis" et oui.

Désormais leur histoire fait maintenant partie de la mienne.